Le droit de la consommation évolue à un rythme sans précédent sous l’impulsion des transformations numériques et des nouvelles attentes des consommateurs. En 2025, les professionnels et juristes doivent anticiper l’application du règlement européen sur les marchés numériques (DMA) et la directive omnibus transposée en droit français. La jurisprudence récente de la CJUE et de la Cour de cassation dessine un cadre protecteur renforcé, tandis que les pratiques commerciales innovantes soulèvent des questionnements inédits. Ce domaine juridique, à l’intersection des enjeux économiques et sociétaux, requiert désormais une maîtrise technique approfondie et une vision stratégique adaptée aux réalités du marché de demain.
L’évolution du cadre normatif : décryptage des réformes 2024-2025
La réforme substantielle du droit de la consommation s’articule autour de plusieurs textes majeurs applicables en 2025. Le règlement européen 2022/1925 sur les marchés numériques (Digital Markets Act) modifie considérablement les obligations des plateformes en ligne. Les contrôleurs d’accès (gatekeepers), entreprises dépassant 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel en Europe, doivent désormais garantir l’interopérabilité de leurs services et cesser l’auto-préférencement de leurs produits.
La directive 2019/2161 dite « omnibus », transposée en droit français par l’ordonnance du 24 novembre 2023, renforce quant à elle les sanctions en cas de pratiques commerciales déloyales. Les amendes administratives peuvent atteindre 4% du chiffre d’affaires annuel ou 2 millions d’euros en l’absence d’information fiable. Cette directive impose une transparence accrue concernant les avis en ligne, obligeant les professionnels à vérifier que les auteurs ont effectivement utilisé le produit.
La loi du 15 février 2024 relative à la protection des consommateurs vulnérables constitue une innovation juridique notable. Elle instaure un droit de rétractation étendu à 30 jours pour les personnes âgées de plus de 70 ans lors des ventes à distance et hors établissement. Cette disposition reconnaît pour la première fois en droit français une vulnérabilité liée à l’âge dans les rapports de consommation.
Le décret n°2024-127 du 12 février 2024 précise les modalités d’application du droit à la réparation instauré par la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire. Il fixe les délais de mise à disposition des pièces détachées (5 à 15 ans selon les catégories de produits) et renforce l’obligation d’information précontractuelle sur la réparabilité des biens.
Obligations précontractuelles et information du consommateur : nouvelles exigences
Le formalisme informatif connaît un durcissement sans précédent. L’arrêt de la CJUE du 10 juillet 2023 (aff. C-485/21) impose aux professionnels une information exhaustive sur les caractéristiques essentielles des produits, y compris leur durabilité prévisible. Cette exigence s’applique tant aux mentions contractuelles qu’aux supports publicitaires, avec une charge de la preuve pesant intégralement sur le professionnel.
L’information relative aux prix personnalisés devient obligatoire à partir de juin 2025. Lorsqu’un prix est déterminé sur la base d’une décision automatisée ou du profilage comportemental du consommateur, le professionnel doit l’indiquer clairement avant la conclusion du contrat. Cette obligation s’accompagne d’un droit d’accès aux paramètres utilisés pour cette personnalisation tarifaire, conformément au nouvel article L.111-7-3 du Code de la consommation.
Les informations essentielles à communiquer en 2025
- L’indice de réparabilité et de durabilité pour les équipements électriques et électroniques
- L’empreinte environnementale calculée selon la méthodologie européenne PEF (Product Environmental Footprint)
- Les conditions d’utilisation des données personnelles collectées lors de l’utilisation du produit
La présentation des informations fait l’objet d’une attention particulière des tribunaux. L’arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2024 (n°22-18.742) sanctionne l’utilisation d’une police de caractère inférieure à 8 points pour les mentions obligatoires, même si le contrat était consultable en ligne avec possibilité d’agrandissement. Cette décision confirme l’exigence d’une lisibilité effective et non simplement théorique des informations précontractuelles.
Le droit de rétractation connaît une extension considérable de son champ d’application. La jurisprudence récente l’étend aux contrats de prestation de services personnalisés lorsque cette personnalisation n’est pas substantielle (CJUE, 22 novembre 2023, C-226/22). Les professionnels doivent adapter leurs conditions générales pour intégrer ces nouvelles interprétations jurisprudentielles.
Contentieux de la consommation : stratégies processuelles innovantes
L’année 2025 marque un tournant dans les actions collectives avec l’entrée en vigueur complète de la directive européenne 2020/1828. Transposée en droit français par la loi du 5 janvier 2024, elle élargit le champ d’application de l’action de groupe à 66 textes européens, incluant notamment la protection des données personnelles, les services financiers et les voyages à forfait. Les associations agréées peuvent désormais solliciter des mesures provisoires de cessation avant même l’engagement de l’action au fond.
La médiation de la consommation connaît une refonte majeure avec le décret du 27 novembre 2023. Ce texte renforce les exigences d’indépendance des médiateurs et impose aux professionnels un délai de réponse de 21 jours aux demandes de médiation, sous peine d’une amende administrative pouvant atteindre 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale. Cette réforme vise à augmenter le taux de résolution amiable des litiges, actuellement de 74% selon la Commission d’évaluation et de contrôle de la médiation.
Le contentieux numérique se développe considérablement avec l’émergence de plateformes spécialisées. Le tribunal judiciaire de Paris a créé une chambre dédiée aux litiges de consommation en ligne, opérationnelle depuis janvier 2024. Cette juridiction spécialisée développe une jurisprudence spécifique concernant les dark patterns (interfaces trompeuses) et les contrats conclus avec des intelligences artificielles. L’arrêt du 15 janvier 2024 (TJ Paris, n°23/04782) établit la responsabilité du professionnel pour les recommandations personnalisées générées par algorithme.
La preuve électronique fait l’objet d’un encadrement renforcé. Le décret n°2023-1763 du 30 décembre 2023 précise les conditions dans lesquelles les captures d’écran peuvent constituer un commencement de preuve par écrit. Pour être recevables, ces captures doivent être horodatées par un tiers de confiance ou comporter des métadonnées non altérées. Cette évolution facilite considérablement l’administration de la preuve pour les consommateurs dans les litiges concernant les achats en ligne.
Conformité et responsabilité des professionnels : anticipation des risques juridiques
La responsabilité du fait des produits défectueux connaît une extension significative avec la directive 2023/2725 du 13 décembre 2023, qui devra être transposée avant janvier 2026. Ce texte inclut désormais les logiciels et services numériques dans la définition du produit, créant ainsi une responsabilité directe des éditeurs de logiciels et fournisseurs de services cloud. Le délai de prescription est porté à 15 ans pour les dommages corporels, contre 10 ans auparavant.
La conformité des produits connectés fait l’objet d’une attention particulière. Le règlement 2023/1230 sur les produits connectés (Cyber Resilience Act) impose aux fabricants et importateurs des obligations de sécurité numérique tout au long du cycle de vie du produit. Cette réglementation, applicable à partir de mars 2025, exige la fourniture de mises à jour de sécurité pendant une durée minimale de 5 ans et la notification des vulnérabilités découvertes aux autorités compétentes dans un délai de 24 heures.
Le géoblocage des sites marchands devient strictement encadré. Le règlement 2024/123 du 31 janvier 2024 étend l’interdiction du géoblocage injustifié aux contenus audiovisuels et services non-audiovisuels incorporant des contenus protégés par le droit d’auteur. Les professionnels doivent adapter leurs infrastructures techniques pour permettre l’accès transfrontalier à leurs offres, tout en respectant les territorialités des licences de propriété intellectuelle.
La responsabilité environnementale des distributeurs s’accroît considérablement. L’ordonnance du 30 novembre 2023 relative à la prévention des déchets impose aux vendeurs en ligne l’obligation de proposer la reprise gratuite des produits usagés équivalents pour toute livraison. Cette disposition, qui entre en vigueur le 1er janvier 2025, concerne tous les distributeurs réalisant plus de 50 000 € de chiffre d’affaires annuel.
L’arsenal juridique au service de la transformation des modèles économiques
Le droit de la consommation devient un levier stratégique pour les entreprises souhaitant se différencier sur des marchés concurrentiels. Les garanties commerciales étendues, allant au-delà du cadre légal, constituent désormais un argument marketing puissant. La garantie « satisfait ou remboursé » sans condition pendant 90 jours, proposée par certaines enseignes, dépasse largement les exigences légales et renforce la confiance des consommateurs.
L’économie circulaire trouve un soutien juridique renforcé avec le décret du 20 janvier 2024 sur l’indice de durabilité. Ce texte impose aux fabricants de produits électriques et électroniques de communiquer la durée estimée d’utilisation et la disponibilité des pièces détachées. Les entreprises pionnières utilisent cette obligation comme opportunité pour développer des services après-vente premium et des offres de réparation à domicile.
La loyauté algorithmique devient un enjeu majeur pour les plateformes numériques. Le règlement européen sur l’intelligence artificielle, dont l’application est prévue en 2025, impose une transparence accrue sur les systèmes de recommandation et de classement. Les marketplaces doivent désormais expliciter les principaux paramètres déterminant le classement des offres et indiquer si le positionnement résulte d’un paiement direct ou indirect.
L’éthique commerciale s’impose comme norme contraignante. La directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, adoptée le 1er juin 2023, oblige les grandes entreprises à identifier et prévenir les violations des droits humains et environnementaux dans leurs chaînes d’approvisionnement. Cette obligation, qui sera progressivement étendue aux PME sous-traitantes, transforme profondément les relations commerciales internationales et les stratégies d’approvisionnement.
Les modèles économiques émergents soutenus par le droit
- Les contrats de performance énergétique avec garantie de résultat
- Les abonnements flexibles avec possibilité de suspension temporaire sans frais
La data compliance devient indissociable du droit de la consommation. L’arrêt de la CJUE du 4 mai 2023 (C-252/21) considère que le consentement au traitement des données à des fins publicitaires ne peut conditionner l’accès au service, même pour les services apparemment gratuits. Cette jurisprudence impose une révision complète des modèles économiques fondés sur la monétisation des données personnelles.
